Tuesday, September 28, 2004

Crébillon #22

The XVIII century French litterature is full of splendid writers, my own favourite author is Crébillon who more than others managed to describe love torments and pleasures , desires and frustrations through a wide palette of exquisitely nuanced touches. Something like a repetitive sensual symphony . I like "les liaisons dangereuses" from Choderlos de Laclos or Marivaux plays but nothing replaces for me "Les égarements du coeur et de l'esprit" from Crébillon. Here you have style, feelings and eroticism at his most sophisticated stage.
Just read how Meilcour falls in love ...

Tout entier à Madame de Lursay, je ne m’occupais que du chagrin d’être privé de sa présence, lorsqu’une loge s’ouvrit à côté de la mienne. Curieux de voir les personnes qui l’allaient occuper, j’y portai mes regards ; et l’objet qui s’y offrit les fixa. Qu’on se figure tout ce que la beauté la plus régulière a de plus noble, tout ce que les grâces ont de plus séduisant, en un mot, tout ce que la jeunesse peut répandre de fraîcheur et d’éclat, à peine pourra-t-on se faire une idée de la personne que je voudrais dépeindre. Je ne sais quel mouvement singulier et subit m’agita à cette vue : frappé de tant de beautés, je demeurai comme anéanti. Ma surprise allait jusque au transport. Je sentis dans mon cœur un désordre qui se répandit sur tous mes sens : loin qu’il se calmât, il redoublait par l’examen secret que je faisais de ses charmes. Elle n’avait pas en effet. besoin de parure ; en était-il de si brillante qu’elle ne l’eût effacée ? était-il d’ornement si modeste qu’elle ne l’eût embelli ? Sa physionomie était douce et réservée ; le sentiment et l’esprit paraissaient briller dans ses yeux. Cette personne me parut jeune ; et je crus, à la surprise des spectateurs, qu’elle ne paraissait en public que de ce jour-là : j’en eus involontairement un mouvement de joie, et j’aurais souhaité qu’elle n’eût jamais été connue que de moi. Deux dames mises du plus grand air étaient avec elle ; nouvelle surprise pour moi, de ne les pas connaître, mais elle m’arrêta peu. Uniquement occupé de ma belle inconnue, je ne cessais de la regarder, que quand par hasard elle jetait ses yeux sur quelqu’un. Les miens se portaient aussitôt sur l’objet qu’elle avait paru vouloir chercher : si elle s’y arrêtait un peu de temps, et que ce fût un jeune homme, je croyais qu’un amant seul pouvait la rendre si attentive. Sans pénétrer le motif qui me faisait agir, je conduisais, j’interprétais ses regards ; je cherchais à lire dans ses moindres mouvements. Tant d’opiniâtreté à ne la pas perdre de vue, me fit enfin remarquer d’elle ; elle regarda à son tour ; je la fixais sans le savoir et, dans le charme qui m’entraînait malgré moi-même, je ne sais ce que mes yeux lui dirent, mais elle détourna les siens en rougissant un peu.

Les égarements du cœur et de l’esprit, 1736


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